Je ne lis pas grand-chose, je n'ai pas le temps. Trop d'années perdues déjà en tant de bêtises et de prison! Mais on me presse, adjure, tarabuste...Il faut que je lise absolument, paraît-il, une sorte d'article , le "Portrait d'un antisémite", par Jean- Baptiste Sartre. Je parcours ce long devoir , jette un œil, ce n'est ni bon ni mauvais, ce n'est rien du tout, un pastiche ... une façon de "Lamanièredeux". (...) J'en traîne un certain nombre au cul de ces petits "Lamanièredeux" ... Qu'y puis-je? Etouffants, haineux, foireux, bien traîtres, demi-sangsues , demi-ténias , ils ne me font point d'honneur, je n'en parle jamais, c'est tout. Progéniture de l'ombre. Décence. Oh! Je ne veux aucun mal au petit J.-B. S.! Son sort où il est placé est bien assez cruel! Puisqu'il s'agit d'un devoir, je lui aurais donné volontiers 7 sur 20 et n'en parlerais plus... Mais page 462 la petite fiente il m'interloque! Ah, le damné pourri croupion! Qu'ose-t-il écrire? "Si Céline a pu soutenir les thèses socialistes des nazis c'est qu'il était payé". Textuel. Holà! Voici donc ce qu'écrivait ce petit bousier pendant que j'étais en prison en plein péril qu'on me pende. Satanée petite saloperie gavée de merde , tu me sors de l'entre-fesse pour me salir au-dehors! Anus Caïn pfoui! Que cherches-tu? Qu'on m'assassine? C'est l'évidence! Ici! Que je t'écrabouille! Oui!... je le vois en photo... ces gros yeux... ce crochet... cette ventouse baveuse... c'est un cestode! Que n'inventerait-il, le monstre, pour qu'on m'assassine! A peine sorti de mon caca , le voici qui me dénonce! (...)
Référence. Louis-Ferdinand Céline, À l'agité du bocal, 1948.
Baudelaire tantôt sulfureux tantôt moralisateur, dit de ses compatriotes :
« Le français est un animal de basse-cour, si bien domestiqué qu’il n’ose franchir aucune palissade. Voir ses goûts en art et en littérature. C’est un animal de race latine ; l’ordure ne lui déplaît pas dans son domicile, et en littérature, il est scatophage. Il raffole des excréments. »
Au XVIe siècle, Rabelais utilise une foule de mots pour raconter cette « matière joyeuse » :
« que diable est ceci ? Appelez-vous ceci foire, bren, crotte, fiente, déjection, matière fécale, excrément, repaire, laisse, esmeut, fumée, étron, scybale ou spyrote ? »
Écrivain et poète de l'extrême, Antonin Artaud, recroquevillé dans sa folie, livre ce poème, intitulé La Recherche de la fécalité. Il meurt en 1948 d'un cancer du rectum.
« L’homme aurait très bien pu ne pas chier,
ne pas ouvrir la poche anale,
mais il a choisi de chier
comme il aurait choisi de vivre au lieu de consentir à vivre mort.C'est que pour ne pas faire caca,
il lui aurait fallu consentir à ne pas être,
mais il n'a pas pu se résoudre à perdre l'être,
c'est-à-dire à mourir vivant.Il y a dans l'être
quelque chose de particulièrement tentant pour l'homme
et ce quelque chose est justement le caca ! »(ici, rugissement)
Ce prodigue était un maniaque – naturellement. C’est toujours facile à dire et cela dispense de tout examen profond. C'était même, si vous voulez, un monomaniaque.
Son idée fixe était de jeter le PAIN dans les latrines!
Il se ruinait dans ce but chez les boulangers. On ne le rencontrait jamais sans un gros pain sous le bras, qu'il s'en allait en sautillant d'aise, précipiter dans les goguenots de la populace.
Il ne vivait que pour accomplir cet acte et il faut croire qu'il en éprouvait de furieuses jouissances ; mais sa joie devenait du délire quand l'occasion se présentait d'en offrir le spectacle à de pauvres diables crevant de faim.La Religion de M. Pleur, Léon Bloy, Histoires désobligeantes
Jamais il n'en avait tant vu et tant ramassé. Toutes les routes du pays, de Courcy à Fay-aux-Loges, de Bois-Commun à Combreux et de Bellegarde à Châteauneuf, en étaient remplies, sans parler des chemins ou allées sous bois dont cette partie de la grande forêt d'Orléans est sillonnée dans tous les sens.
Il n'y avait qu'à se baisser pour en prendre, c'était la fortune. Malheureusement, l'offre dépassait de beaucoup la demande, les cultivateurs ou fermiers n'en voulant plus. Quelques-uns même vidaient leurs maisons sur des chariots de diverses formes et s'en allaient vers la Loire, poussant leur bétail devant eux. C'était donc la fin du monde.
Le pauvre bossu-bancroche Amable Têtard, dit Mouche-à-Caca, n'y comprenait rien. Avant cette époque, il n'avait jamais entendu parler de guerre, ou s'il en avait entendu parler, ce mot n'évoquait en lui aucune image, ne s'accointait en sa cervelle à aucune notion précise.
Il restait là avec tout son crottin sur les bras, c'est-à-dire, emmagasiné dans une espèce de butte braconnière où il avait élu domicile au creux d'un fourré et se demandait sérieusement s'il « n'y avait pas de bon Dieu ». Mais il n'allait pas plus avant dans le blasphème et ne creusait pas ce doute philosophique.Le ramasseur de crottin, Léon Bloy, Histoires désobligeantes
Le pigeon n'était plus devant la porte. Sur le carreau où il s'était posé, il n'y avait plus désormais qu'une tache vert émeraude de la taille d'une pièce de cinq francs, et une minuscule plume, duveteuse et blanche, qui frémissait légèrement dans le courant d'air de la porte entrebâillée. Jonathan frissonna de dégoût. Pour un peu, il aurait immédiatement claqué la porte à nouveau. Sa nature instinctive voulait reculer, se réfugier dans sa chambre, à l'abri, fuir l'horreur qui se trouvait là, dehors. Mais alors il vit qu'il n'y avait pas là une tache unique, mais qu'il y avait beaucoup de taches. Toute la portion du couloir qu'il pouvait parcourir du regard était constellée de ces taches vert émeraude à l'éclat humide. Et il se passa alors cette chose étrange que la multiplicité de ces ignominies, loin d'augmenter le dégoût de Jonathan, accrut au contraire sa détermination à résister : la première tache isolée et la première petite plume l'auraient sans doute fait reculer, et il aurait refermé la porte à jamais. Mais que le pigeon eût manifestement conchié tout le couloir, cette universalité de l'odieux phénomène mobilisa tout son courage. Il ouvrit grand la porte.
P.Suskind
L’écrivain et artiste anglaise Mary Barnes a fait de ses désordes psychiques une expérience littéraire. Dans son Voyage à travers la folie, elle raconte son rapport avec les excréments :
« À peu près à la même époque, je jouais avec ma merde. Quand j'étais au lit, je me mettais les doigts dans le derrière et en retirais des morceaux de merde dure que je pétrissais dans ma main. Cela m'effrayait mais c'était si fascinant et si intéressant que je ne pouvais m'en empêcher...
De grandes quantités de merde sortiront de moi et envahirent le lit. Quel soulagement! C'était la félicité. Quelle merveille! En allant dans le sens de Joe et non à son encontre, je m’étais évanouie. Délicieuse sensation…
La masturbation ma paraissait analogue au fait d’étaler ma merde : c’était la fange dont il fallait se sortir. »
Mais sa continuelle doléance était le manque de fumier : ni le crottin, ni les balayages des quelques lapins et des quelques poules qu'elle élevait ne lui donnaient assez. Elle en était venue à se servir de tout ce que son vieux et elle faisaient, de cet engrais humain si méprisé, qui soulève le dégoût, même dans les campagnes. On l'avait su, on l'en plaisantait, on l'appelait la mère Caca, et ce surnom lui nuisait, au marché. Des bourgeoises s'étaient détournées de ses carottes et de ses choux superbes, avec des nausées de répugnance. Malgré sa grande douceur, cela la jetait hors d'elle.
« Voyons, dites-moi, vous, Caporal, est-ce raisonnable?... Est-ce qu'il n'est pas permis d'employer tout ce que le bon Dieu nous a mis dans la main ? Et puis, avec ça que les crottes des bêtes sont plus propres!... Non, c'est de la jalousie, ils m'en veulent, à Rognes, parce que le légume pousse plus fort chez moi... Dites, Caporal, est-ce que ça vous dégoûte, vous ? »
Jean, embarrassé, répondit
« Dame! ça ne me ragoûte pas beaucoup... On n'est pas habitué à ça, ce n'est peut-être bien qu'une idée. »(…)
On vendangea jusqu'à la nuit tombante. Les voitures ne cessaient d'emmener les gueulebées pleines et de les ramener vides. Dans les vignes, dorées par le soleil couchant, sous le grand ciel rose, le va-et-vient des paniers et des hottes s'activait, au milieu de la griserie de tout ce raisin charrié. Et il arriva un accident à Berthe, elle fut prise d'une telle colique, qu'elle ne put même courir : sa mère et Lequeu durent lui faire un rempart de leur corps, pendant qu'elle s'aponichait, parmi les échalas. Du plant voisin, on l'aperçut. Victor et Delphin voulaient lui porter du papier; mais Flore et la Bécu les en empêchèrent, parce qu'il y avait des bornes que les mal élevés seuls dépassaient. Enfin, on rentra. Les Delhomme avaient pris la tête, la Grande forçait Hilarion à tirer avec le cheval, les Lengaigne et les Macqueron fraternisaient, dans la demi-ivresse qui attendrissait leur rivalité. Ce qu'on remarqua surtout, ce furent les politesses de l'abbé Madeline et de Suzanne : il la croyait sans doute une dame, à la voir la mieux habillée; si bien qu'ils marchaient côte à côte, lui rempli d'égards, elle faisant la sucrée, demandant l'heure de la messe, le dimanche. Derrière eux, venait JésusChrist, qui, acharné contre la soutane, recommençait sa plaisanterie dégoûtante, dans une rigolade obstinée d'ivrogne. Tous les cinq pas, il levait la cuisse et en lâchait un. La garce se mordait les lèvres pour ne pas rire, le prêtre affectait de ne pas entendre; et, très graves, accompagnés de cette musique, ils continuaient d'échanger des idées pieuses, à la queue du train roulant des vendanges.
Emile Zola, La Terre
(...) un général anglais (...) leur cria : Braves Français, rendez-vous!
Cambronne répondit : Merde! Le lecteur français voulant être respecté, le
plus beau mot peut-être qu'un Français ait jamais dit ne peut lui être
répété. Défense de déposer du sublime dans l'histoire. à nos risques et
périls, nous enfreignons cette défense. Donc, parmi tous ces géants, il y
eut un titan, Cambronne. Dire ce mot et mourir ensuite quoi de plus
grand!... Foudroyer d'un tel mot le tonnerre qui vous tue, c'est vaincre.Victor Hugo, les Misérables, II, I, XIV-XV
Il s'y élabore (dans les latrines) une chimie merveilleuse, il s'y fait
des décompositions fécondantes. Qui sait à quels sucs d'excréments nous
devons le parfum des roses et la saveur des melons?FLAUBERT, Correspondance, 446, 23 déc. 1853, t. III, p. 404
(...) de leurs excréments mêmes et de leur décharge nous tirons non
seulement de la friandise au manger, mais nos plus riches ornements et
parfums.MONTAIGNE, Essais, II, XII
Vieille pourriture,
Je lis à l'instant tes canailleries du 15 et du 19 septembre. Je te trouve grossier, cul-foireux, mais surtout menteur et lâche. Il t'a fallu quatre jours pour apprendre que la version imbécile Lautréamont-orateur public que tu avais acceptée dans ton ignorance de carpe était au moins controversée. Mais en y revenant tu as entortillé ta merde de façon qu'elle tourne à ta gloire. Nous avions déjà l'article sur Baudelaire où tu discourais de ses plaques muqueuses, cette fois tu fais dans la psychiâtrie. Peu importe l'ironie énorme que tu déploies, cependant relis tes deux articles l'un après l'autre. Tu y verras, ce que tu sais fort bien, une série d'insolences basées sur le néant, qu'un ou deux renseignements tardifs ont fait écrouler. Puis plus aucune mention de ces allégations spirituelles, et l'impudence du bavard qui veut à tout prix avoir raison.
Au fait, donne-moi un renseignement, puisque tu m'accuses de chercher à faire parler de moi, est-il vrai que M. Soupault t'ait demandé d'écrire un article sur sa petite réédition? Vous pouvez être contents l'un de l'autre. Il en vendra dix exemplaires de plus, et toi ça t'a purgé. Tu as bien chié.
Je n'ai pas l'intention de discuter avec une couenne faisandée. Tu es une de ces saloperies dont l'idée seule schlingue. Tes productions, par un trope hardi nous dirons qu'elles ne sont pas tapées, mais qu'elles tapent, et que toi-même faisant ta putain périodique, tu cocottes. Enfin pour me faire comprendre de ta science médicale, tu es assez comparable au fromage qui se développe dans les nez tuberculeux. D'ailleurs je t'ai aperçu une ou deux fois: tu es ignoble. Etron intellectuel, tu as le physique de l'emploi. Tu es une vieille chemise oubliée dans un urinoir.
Mais prends garde, puanteur rance, à la place où tu lâches tes immondices. Il pourrait arriver, je te dis ça très doucement, d'une façon toute épistolaire, et à titre de renseignement, que des lecteurs très jeunes que tu désignes inconsidérément trouvassent qu'au bout du compte ils ne peuvent plus supporter l'existence de ta charogne, et que, saisissant le balai des … tu m'entends ? ils s'en servissent avec une certaine vigueur contre ta fétide personne.
J'ai bien l'honneur de me boucher le nez devant ta barbiche.
Post-scriptum : avec la même douceur je t'avertis que tu ne traites pas tout à fait la question Lautréamont avec l'intelligence et la compréhension moyennes d'un journaliste sans tare physiologique. Réfléchis. La paralysie générale te gagne, tu as eu récemment de mauvais réveils, et ton miroir t'apprend déjà sur ta loque des choses… inquiétantes. Je ne t'en dis pas plus. Un accident est très vite arrivé.
ARAGON, Traité du style (1928)