bien chier

 

   
 
 

     Le tabou qui s'attache à l'excrément nous prive de textes talentueux.  Heureusement, certains, tel Michel Tournier, osent évoquer l'art subtil de la défécation :

« Je fais inopinément et sans la moindre bavure un étron superbe, si long qu'il faut qu'il s'incurve à ses extrémités pour tenir dans la cuvette…»
 

    « Vous êtes bien heureuse d'aller chier quand vous voulez.  Chiez donc tout votre chien de soûl.  Il n'en va pas de même ici où je suis obligée de garder mon étron pour le soir... J'ai le chagrin d'aller chier dehors, ce qui me fâche, parce que j'aime à chier à mon aise, et que je ne chie pas à mon aise quand mon cul ne se pose sur rien ; item, tout le monde vous voit chier... Ah maudit chier ! Je ne connais pas de plus vilaine chose que de chier !  Voyez passer une jolie personne, bien mignonne, bien propre, vous vous récriez : ah que cela serait joli si cela ne chiait pas. [...] Mais les empereurs chient, les impératrices chient, les rois chient, les reines chient, le pape chie, les cardinaux chient, les princes chient, les archevêques et les évêques chient, les généraux chient, les curés et les vicaires chient... On chie en l'air, on chie sur la terre, on chie dans la mer, tout l'univers est rempli de chieurs... Si vous croyez baiser une jolie petite bouche avec des dents bien blanches, vous baisez un moulin à merde.  Toits les mets les plus délicats, les biscuits, les pâtés et les tourtes, les farcis, les jambons, les perdrix, les faisans, etc., le tout n’est que pour faire de la merde mâchée. »

 Les lettres de la Princesse Palatine, duchesse d’Orléans (extrait d’une lettre qu’elle écrit à sa tante, pour se plaindre de ne point disposer de sa chaise percée, alors qu’elle effectue un séjour à Fontainebleau en 1664).

La réponse lyrique de sa tante, l’Electrice de Hanovre :

Hanovre, 31 octobre 1694

« Vous ne connaissez guère les plaisirs, puisque vous ignorez celui qu'il y a à chier... De toutes les nécessités à quoi la nature nous a assujettis, celle de chier est la plus agréable ; on voit peu de personnes qui chient et qui ne trouvent que leur étron sent bon... Si la viande fait la merde, il est vrai de dire que la merde fait la viande... Est-ce-que dans les tables les plus délicates, la merde n'y est pas servie en ragoûts ? ... Les boudins, les andouilles, les saucisses, ne sont-ce pas des ragoûts dans des sacs à merde ?  La terre ne deviendrait-elle pas stérile si on ne chiait pas ? ...
Manger et chier, chier et manger... Et l'on peut dire qu'on ne mange que pour chier, et qu'on ne chie que pour manger... Quand vous avez tant déclamé contre le chier, vous aviez chié dans vos chausses... J'espère qu'à présent... vous demeurerez d'accord qu'on aimerait autant ne point vivre que de ne point chier. »
 

    Jonathan Swift (Les voyages de Gulliver) a été l’une des grandes voix à s’exprimer sur l’excrément. Son livre, Le Grand mystère où l’Art de méditer sur la garde-robe (1740) a connu un réel succès avant d’être relégué aux oubliettes de la bienséance. Selon lui, l’excrément, révélateurs de l’être humain, permettant aux sages-femmes de connaître le destin des nouveau-nés et dévoilant leur amour aux amants, pourrait devenir une branche fructueuse de l’économie.

« Je connais bien peu de gens qui possèdent le grand art de chier. La plupart du monde s’acquitte de cette fonction ou à la hâte, comme à regret, ou avec insolence comme un acte de peu d’importance. La manière triviale de défaire son haut de chausse, les airs maladroits qu’on se donne sur les privés, les grimaces affreuses et les exclamations barbares qu'on y fait, voilà autant de points sur lesquels une réforme est d'une extrême nécessité. »
 

    Le concept du bien-chier est repris, au XIXe siècle, dans un long poème intitulé L’art de chier, d'un certain Argaud Desbarges, dont voici quatre alexandrins :

« Du plaisir de chier, sentant la douce ivresse,
Suspendez-en l'effet en serrant chaque fesse ;
Car on goûte bien mieux un morceau bien mâché,
Et chaque sens en est, à son tour, alléché. »
 

    L'écrivain américain Charles Bukowski, connu pour ses excès, regrette d'être obligé de manger pour fabriquer des crottes :
« Je n'ai jamais tellement aimé la nourriture.  J'ai entendu parler de cet amour que lui portent certaines personnes.  La nourriture ne réussit qu'à m'ennuyer.  Les liquides à la rigueur, mais quant aux solides... quelle déprime !  J'aimais la merde, j'aimais chier, j'aimais les crottes, mais quel travail pénible que de les créer. »
 
 

   " Comme tout ce qui arrive dans mon corps, le besoin de déféquer est lui aussi provoqué par des miracles; cela consiste à pousser l'étron en avant (bien souvent il est repoussé vers l'arrière), et lorsque, par suite de l'exonération, il n'y a plus de matières en suffisance, on vient barbouiller mon orifice postérieur avec le reste du contenu des boyaux......"

"A chaque ... besoin de déféquer, on expédie quelqu'un de mon entourage au cabinet " ... " Quand alors, sous la pression d'un besoin, je décharge réellement--je me sers presque toujours d'un seau pour le faire, puisque je trouve le cabinet presque constamment occupé -- ... chaque fois .... La délivrance de la pression causée dans le gros intestin par les excréments a notamment pour conséquence un bien-être intense procuré aux nerfs de volupté..."

Président Schreber 


    Guy déjà a l'émouvante attitude d'un chien qui chie. Il pousse, son regard
est fixe, ses quatre pattes sont rapprochées sous son corps arc-bouté; et il
tremble, de la tête à l'étron fumant.

Jean GENET, Journal du voleur, p. 238.


    (...) ce qui me fait penser que chier ne convient pas pour quelqu'un comme
le cheval qui a la défécation sèche, poudreuse, filandreuse, parce que
chier, qu'on le veuille ou non, ça suppose du glissant, du giclant, du
liquide, enfin moi je trouve (...)

Jacques LAURENT, les Bêtises, p. 269.



    J'écartais mes fesses avec mes mains et je poussais, un! han! deux!
han!, avec des mouvements de rameur, et je n'avais qu'une hâte, rentrer dans
ma chambre et m'allonger. C'était bien de la constipation, n'est-ce-pas? Ou
est-ce que je confonds avec la diarrhée? Tout s'embrouille dans ma tête,
cimetières et noces et les différentes sortes de selles.

S. BECKETT, Premier amour, p. 15.


 
      Le jeune Gil Blas cherche un stratagème pour échapper aux bandits qui le retiennent prisonnier dans une caverne... 

" Je feignis d ‘avoir la colique. Je poussai d’abord des plaintes et des gémissements. Ensuite, élevant la voix, je jetai de grands cris. Les voleurs se réveillent, et sont bientôt auprès de moi. Ils me demandent ce qui m’oblige à crier ainsi. Je répondis que j’avais une colique horrible et, pour mieux le leur persuader, je me mis à grincer des dents, à faire des grimaces et des contorsions effroyables et à m’agiter d’une étrange façon. Après cela, je devins tout à coup tranquille, comme si mes douleurs m’eussent donné quelque relâche. Un instant après, je me remis à faire des bonds sur mon grabat et à me tordre les bras . En un mot, je jouai si bien mon rôle que les voleurs, tout fins qu’ils étaient, s’y laissèrent tromper, et crurent qu’en effet je sentais des tranchées violentes. Mais, en faisant si bien mon personnage, je fus tourmenté d’une étrange façon ; car dès que mes charitables confrères s’imaginèrent que je souffrais, les voilà tous qui s’empressent à me soulager. L’un m’apporte une bouteille d’eau-de-vie et m’en fait avaler la moitié ; l’autre me donne, malgré moi, un lavement d’huile d’amandes douces, un autre va chauffer une serviette et vient me l’appliquer toute brûlante sur le ventre. J’avais beau crier miséricorde ; ils imputaient mes cris à la colique, et continuaient à me faire souffrir des maux véritables, en voulant m’en ôter un que je n’avais point. Enfin, ne pouvant plus y résister, je fus obligé de leur dire que je ne sentais plus de tranchées, et que je les conjurais de me donner quartier . Ils cessèrent de me fatiguer de leurs remèdes et je me gardai bien de me plaindre davantage, de peur d’éprouver encore leur secours."

Alain René Lesage  Histoire de Gil Blas de Santillane (1715)






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